Mais... où suis-je ?

Le Barde dans la Machine écrit pour vous des élucubrations sur les mondes imaginaires. Pour faciliter vos choix de lectures, les publications sont regroupées en thèmes :

"Récits", des nouvelles (entières ou par épisodes) qui parlent de SF et de Fantasy. Les récits les plus longs sont publiés par épisodes, puis compilés.
"Contes de la Marche", qui regroupe des récits de Fantasy se déroulant un même univers.
"Lubies", des textes plus courts sur des sujets aléatoires.
"Bouquins", où je vous narre et critique mes derniers lectures.
"Carnets", de brèves observations ou impressions, en quelques paragraphes.

Disparus (2)

Face au miroir, le président vérifia une dernière fois son noeud de cravate et sa coiffure, qui avaient déjà fait l’objet de soins interminables. Il se composa un visage grave mais serein, dont la force intérieure inspirait la confiance et même, c’était avéré, l’envie de l’élire à la tête du pays. Puis il fit son entrée dans la salle où avait lieu la conférence de presse.

Ses sens furent immédiatement submergés par les lumières, le brouhaha, les visages, et le déluge de signaux qui émanaient de la foule. Marchant à pas réguliers, il se dirigea vers le pupitre au micro, où un assistant venait de déposer un verre d’eau. Alors qu’il prenait place, les conversations s’éteignirent les unes après les autres, ne laissant que le bruit des appareils photos et des équipements de télévision.

Il braqua un regard qu’il espérait perçant sur la foule, plus longuement vers les caméras, et garda le silence en comptant intérieurement les secondes, le temps de prendre l’ascendant sur son auditoire.

Te fatigue pas trop, de toute façon ces effets sont toujours coupés à la télé, lui dit sa petite voix intérieure, celle qui ne s’en laissait pas compter.

Il commença.

"Mes chers concitoyens. Je m’adresse à vous aujourd’hui parce que des événements graves se sont produits; et surtout, parce que ces événements sont à l'origine de discours et de rumeurs, qui à leur tour menacent d'instaurer un climat de crainte dans le pays. Ces événements ne peuvent rester sans réponse de la part de l’État, de la part de la République.

Comme vous le savez, depuis plusieurs années, nous affrontons la menace de créatures prédatrices d’un genre inédit dans l’histoire de l’humanité, les Prédateurs Anthropophages Résistants (ou "PAR"). Ces fauves attaquent des individus isolés, s’en prennent aux plus faibles et aux plus vulnérables d'entre nous. A l’initiative de mon gouvernement, d’importantes mesures de sécurité ont été mises en place pour sécuriser les transports, protéger les enfants et les personnes âgées, et tenir en échec les agresseurs, le temps pour la science de trouver des solutions définitives à cette menace. Ce programme a porté ses fruits, et a permis de limiter le nombre de victimes, qui reste malheureusement trop élevé.”

Silence, regard grave, deuil mais détermination. Classique.

Evitons le sujet des disparitions massives dans les banlieues… Pas besoin de s’attarder, glissa la voix intérieure du président.

"Il y a deux jours, les époux Tramonti ont été retrouvés morts à leur domicile par leur fille. Les bras et jambes manquaient, ce qui correspond à la manière dont les PAR traitent leur victimes. Beaucoup, dans les média et ailleurs, ont spéculé sur les implications de ce crime atroce. Aujourd’hui je tiens à rappeler à tous des faits très simples :

D’abord, l’enquête suit son cours, elle n’a pas encore conclu définitivement à une attaque des PAR. Les enregistrements sont en cours d’analyse, et on ne peut pas entièrement exclure une imitation par des éléments criminels entièrement humains.

Ensuite, aucun crime similaire n’a été répertorié dans un lieu protégé. C’est un événement isolé, à ce jour les résidences sécurisées restent la meilleure solution pour se protéger des PAR."

Le président reprit son souffle, but une gorgée d’eau. Il eut une pensée coupable pour le programme ultra-confidentiel de bunkers souterrains, construits à l’intention des membres du parti au pouvoir et de leurs familles.

"Certains, dans les media, ont fait grand cas des liens des victimes avec le ministère de la défense. Sur ce sujet, je serai très clair : aucun d'entre eux ne participait à des programmes stratégiques ou confidentiels, nous n’avons donc aucune raison de croire que des intérêts stratégiques du pays soient en danger. Ceci étant dit, aucune explication n’est exclue pour le moment, et nos services de sécurité sont en train de vérifier très activement si une puissance étrangère a été impliquée dans cette cette affaire.

Aujourd’hui je m’adresse à vous, mes concitoyens, pour vous exhorter à garder la tête froide, comme vous avez toujours su le faire dans le passé. Il ne sert à rien d’écouter ceux qui font profession de répandre des rumeurs alarmistes. C’est en restant unis, en appliquant les mesures de sécurité avec discipline, et en soutenant l’effort national de recherche que nous sortirons de cette période difficile."

Et si vous pouviez aussi éviter les paniques collectives et les émeutes, comme hier au centre commercial du Grand Cube, ça serait sympa. C’est déjà assez le bordel comme ça.

“Au nom du principe du précaution, j’ai demandé au ministère de la défense de mettre en place des patrouilles armées dans certaines zones critiques du territoire. Avec ces moyens supplémentaires, je suis certain que les rues seront encore plus sûres qu’elles ne l’étaient déjà; le souci numéro un de notre gouvernement est votre sécurité et votre tranquillité d’esprit.”

Dans la salle, une voix lança: “Les patrouilles iront en banlieue, ou juste dans les quartiers sécurisés?”

Le président ignora l’interruption et poursuivit.

“Nous allons aussi augmenter cette année les ressources consacrées à la recherche sur les PAR; les programmes conjoints lancés avec les autres pays partenaires de l’Union ont déjà permis d’obtenir des résultats remarquables, et nous fondons de grands espoirs sur l’approfondissement de ces collaborations. Notre pays est l’un des plus avancés sur ce sujet essentiel, et mon gouvernement fait le maximum pour que nous sortions de la crise le plus tôt possible.”

Le plus tôt possible, c’est pratique: si ça se trouve, ça sera dans très, très longtemps…

Le président termina par la salutation rituelle à la nation, prononcée avec la solennité de circonstance, et repartit, alors que derrière lui résonnaient les questions des journalistes, vouées à rester sans réponse.

Ça, c’est fait. Reste qu’on est bien dans la merde…


 

Quelques titres des journaux du lendemain

 





Disparus (3)

Disparus (1)