Mais... où suis-je ?

Le Barde dans la Machine écrit pour vous des élucubrations sur les mondes imaginaires. Pour faciliter vos choix de lectures, les publications sont regroupées en thèmes :

"Récits", des nouvelles (entières ou par épisodes) qui parlent de SF et de Fantasy. Les récits les plus longs sont publiés par épisodes, puis compilés.
"Contes de la Marche", qui regroupe des récits de Fantasy se déroulant un même univers.
"Lubies", des textes plus courts sur des sujets aléatoires.
"Bouquins", où je vous narre et critique mes derniers lectures.
"Carnets", de brèves observations ou impressions, en quelques paragraphes.

The Vampire Genevieve

The Vampire Genevieve

Si rpg.net le dit…

Si rpg.net le dit…

Un livre de Jack Yeovil (2005)

Heroic-Fantasy aux dents longues ?

Asseyez-vous autour de moi, les enfants, et laissez-moi vous narrer une histoire.

Il y a bien longtemps, dans un pays lointain, j’avais rendu visite à un ami amateur d’imaginaire, de jeux et de bonnes rigolades. Il m’a montré ses bouquins, car entre gros lecteurs, plutôt que de se renifler le derrière à la manière canine, il est d’usage de se regarder la bibliothèque.

Parmi des ouvrages plus recommandables, j’avais trouvé « Drachenfels », d’un certain Jack Yeovil. Ce livre – en anglais – appartenait à une collection située dans l’univers de Warhammer Fantasy Role Playing Game, à la thématique Héroic Fantasy, pimentée d’une touche de renaissance décadente et d’une louche de menace manichéenne. Un jeu renommé en son temps pour son univers sombre, plus fouillé que bien des imitations de D&D.

Comme je n’avais rien de mieux à me mettre sous la dent, je l’ai emprunté ; la lecture m’a fait forte impression. Puis je suis rentré en France, j’ai oublié le titre et le nom de l’auteur, mais le souvenir est resté, revenant parfois titiller mon intérêt.

J’ai cru un moment que la collection des livres Warhammer Fantasy était de la même qualité, mais la visite des rayons de la fnac m’a vite détrompé : pour la plupart, il s’agit d’histoires martiales, brutales et épiques, dont l’auteur indique régulièrement par de « subtils » indices qui sont les gentils et les autres. Par exemple, on reconnaît les méchants à leur peau verte, leurs dents difformes et leurs postures manquant de dignité.

Je ne retrouvais pas ma pépite dans ces rangées de scènes de batailles. Invoquant les forces les plus impies de l'univers, j’ai alors fait appel à la seule magie assez puissante pour retrouver un livre à partir de quelques vagues indications : le Grand Internet, et en particulier Google et e-Bay. En fouillant la moderne bibliothèque de Babel, j’ai retrouvé la source de mon émerveillement, et miracle ! Il y en avait plus à lire !

Le récit

Geneviève est une vampire, très jeune en apparence (elle a été immortalisée à 16 ans), ancienne et immortelle en réalité. Elle parcourt le monde de Warhammer, une sorte d’Europe de la renaissance mâtinée d’Heroic-Fantasy, menacée par les forces du chaos qui hurlent à l'extérieur (sous la forme de légions de Gobelins, de chevaliers du Chaos et autres créatures pittoresques) mais aussi à l'intérieur du continent, de manière plus insidieuse.

Le livre est un recueil de récits qui ont été d’abord publiés séparément. Ils sont reliés par la présence de l’héroïne, parfois protagoniste centrale et parfois juste de passage.

Drachenfels (1989)

Ce roman raconte la chute d’un enchanteur maléfique, Constant Drachenfels, d’abord par un récit-flashback contenant une ellipse cruciale, puis dans sa recréation théâtrale qui sera l'occasion de révélations dramatiques. Il se centre sur la rencontre de Geneviève avec Detlef Sierck, qui se présente comme « Metteur en scène et génie ».

« Geneviève Undead » (1993)

Un groupe de trois nouvelles prolonge ce récit: Stage Blood qui clôt l’arc de l’enchanteur Drachenfels, The Cold Stark House, pastiche gothique dont les protagonistes sont forcés de jouer dans une pièce en création permanente, et Unicorn Ivory, récit de vengeance et de meurtre autour d’une chasse fantastique. Si les deux derniers récits ne manquent pas d’ambiance, ils n’ont pas la cohésion et la richesse de Stage Blood, qui donne une nouvelle tournure au thème du fantôme de l’opéra, créature du chaos au passé mystérieux.

« Beasts in Velvet » (1991)

Dans ce récit long, l’auteur situe une histoire à la Jack l'éventreur dans Altdorf, la capitale impériale, sur fonds de troubles et d’intrigues, et toujours sous l’influence corruptrice du Chaos et ses agents. L’action se déroule après Drachenfels, mais avant Geneviève Undead, qui y fait parfois référence. Son placement décalé dans le recueil privilégie sans doute la continuité de l’arc de Drachenfels et du théâtre (entre Drachenfels et Stage Blood). La juxtaposition de la misère noire du peuple et d’une aristocratie odieuse crée les conditions d’une explosion révolutionnaire. Le titre fait allusion aux vêtements en velours vert qui sont l’apanage des nobles courtisans de l’empire.

« Silver Nails » (2002)

C’est un recueil de nouvelles publiées plus tardivement, dans lesquelles Yeovil exploite les histoires personnelles du riche casting de personnages secondaires de ses ouvrages précédents.

  • Red Thirst : rencontre entre Geneviève et Vukotich, un personnage secondaire bien trempé, cité de multiples fois mais pas encore présenté au lecteur. Là j’ai commencé à revenir en arrière pour trouver où je l’avais vu apparaître. Sur une toile de fond dépuration religieuse et de fanatisme, on suit l’évasion et la fuite de deux prisonniers mal assortis, entre lesquels se crée un lien malgré les préjugés.

  • No Gold in The Grey Mountains, une histoire courte où des brigands de grand chemin deviennent les victimes d’une créature de la nuit apparentée à Geneviève.

  • The Ignorant Armies : dans un style plus guerrier et fantastique, la résolution de la quête du baron Johann von Mecklemberg, électeur de Sudenland, parti au bout du monde chercher son frère enlevé par des chevaliers du Chaos. Moins d'intérêt si ce n’est pour son ambiance crépusculaire.

  • Warhawk résout un fait divers entamé dans Stage Blood ; l’enquête est menée par « Filthy » Harald, flic intègre et violent déjà rencontré dans Beasts in Velvet.

  • The Ibby the Fish Factor : une nouvelle histoire d'enquête qui voit des retrouvailles entre Geneviève et Detlef, et se termine en un « happily ever after » par lequel l’auteur annonce son intention de clore ici la série. Les dialogues sont savoureux, dans un style plus comique qu'à l’ordinaire ; en particulier, la tante vampire de Genevieve est le personnage phare de la nouvelle.

L’auteur et le cinéma

J’avais l’impression que l’auteur était une sorte de génie ignoré, ou du moins un talent méconnu. Avait-il réussi à quitter les collections Warhammer pour déployer sa créativité, embrasser des horizons plus larges ? Je craignais que non…

Eh bien si ! J’ai fini par apprendre, en feuilletant des grimoires impies, que Jack Yeovil n'était que le pseudonyme d’un auteur reconnu : Kim Newman. Plus habitué de l’horreur et du fantastique, il s’est aussi fait un nom comme critique de cinéma.

Il le déclare lui-même dans l'introduction, au fil des récits il s’est amusé à adopter les codes de multiples genres. Son goût pour le cinéma et les acteurs a visiblement inspiré les histoires de pièces de théâtre et le personnage de Detlef Sierck.

Thématiques

Acteurs, masques et faux semblants.

Cette fascination de Yeovil/Newman pour les films, le métier d’acteur et de metteur en scène, nourrit ses thèmes. Exemple parfait, le roman Drachenfels, pièce maîtresse de l’ouvrage, nous raconte un tournage qui dérape, la recréation d’une histoire qui acquiert sa propre réalité.

Les acteurs sont souvent en danger de devenir autre chose, aspirés dans leurs rôles. Parfois aussi, c’est le vide intérieur de l’acteur qui crée l’inquiétude, une absence qui attend de se remplir des personnalités de ses rôles. A l’extrême, c’est l’histoire de ce masque maléfique qui prend possession de ceux qui le portent - le rôle qui devient l’acteur.

Detlef Sierck, génie du théâtre, illustre un autre danger de l’homme aspiré dans une histoire. Mettant en scène une version Warhammer de Dr Jekyll & Mr Hyde, il manque de se noyer dans les ténèbres de l’âme humaine ou sa création le fait plonger, à la fois comme auteur et comme acteur.

Éternité et problèmes de couple

Genevieve, comme c’est souvent le cas pour les protagonistes vampires, n’a pas renoncé à son humanité. En particulier elle continue d’avoir des amants humains ; le plus important de tous sera (spoiler) Detlef Sierck.

Bien sûr, la soif de sang de la vampire est fortement sexualisée, comme il se doit dans ces cas-là. Mais ce partage de fluides corporels a d’autres conséquences ; Detlef doit une partie de ses tourments à la part d'ombre qu’il absorbe au contact de Geneviève, et qui le transforme petit à petit.

Autre inconvénient de ce couple atypique, Geneviève ne vieillit pas : elle garde l'apparence d'une adolescente de 16 ans, tandis que Detlef prend de l'âge et du poids. L’auteur ne s'attarde pas sur les questions inconfortables qu’un spectateur extérieur pourrait poser sur cette relation.

Cette divergence d'aspect ne fait qu'annoncer un éloignement plus définitif et inéluctable, le jour où Detlef mourra et Geneviève poursuivra son existence, rencontrera d’autres hommes... Elle ne lui promet jamais qu’il restera le seul, et il ne le lui demande pas. Mais cela ne rend pas la pilule moins amère pour lui, alors qu’ils commencent à s'éloigner l’un de l’autre, et qu’il doit accepter de n'être qu’un épisode dans la vie de celle qu’il aime.

L’ennemi intérieur

C’est la solution adoptée par Yeovil pour éviter une énième répétition du Seigneur des Anneaux, dans un monde fondé sur un affrontement manichéen entre l’ordre et le chaos. Au lieu de le mettre en scène sous une forme militaire, il préfère dessiner une lutte plus intime contre le mal qui ronge chacun, rejoignant en cela l’approche d’une des campagnes) les plus renommées du monde de jeu de rôles (appel personnel : si quelqu’un a prévu de la faire jouer, je suis intéressé).

Nul n’est épargné, ni Detlef Sierck, ni le Trapdoor Daemon / fantôme de l’opéra, ni même Geneviève et ses instincts sanguinaires, qu’elle contrôle au prix d’une lutte permanente. Dans Beasts in Velvet, ce combat contre l’Autre qui nous habite prend des dimensions épiques : le monstre qui éventre des innocentes se cache le jour sous l’apparence d’un citoyen (plus ou moins) ordinaire, et pour le vaincre, il faut d’abord le démasquer.

Dans Stage Blood, le masque ensorcelé arrive à exercer son pouvoir quand il trouve la faille de son porteur : désir inassouvi, vide intérieur, fragilité… Elle lui permet de le transformer et d’en faire un instrument.

La Ville

Comme Fritz Leiber avant lui ( Lankhmar, ville des aventures du Cycle des Epées), et Cedric Ferrant après lui, Jack Yeovil ancre une grande partie de ses histoires dans une métropole qu’ils s’attache à faire vivre : Altdorf, capitale de l’empire, lieu de contrastes, un monde en soi dans cet univers imaginaire. Au fil des histoires, on devient un habitué de la rue des Cent Tavernes, de ses établissements pittoresques, de la garde urbaine aux qualités discutables, des gangs rivaux des quais.

Plus qu’une simple géographie, c’est un microcosme où la promiscuité produit des rencontres particulières. Cet entassement met en contact les classes sociales opposées de Beasts in Velvet, permet au Warhawk de se dissimuler, fournit le public bigarré des pièces de théâtre et les émeutes des révolutionnaires.

La Ville

Comme Fritz Leiber avant lui ( Lankhmar, ville des aventures du [Cycle des Epées][3]), et [Cedric Ferrant][4] après lui, Jack Yeovil ancre une grande partie de ses histoires dans une métropole qu’ils s’attache à faire vivre : Altdorf, capitale de l’empire, lieu de contrastes, un monde en soi dans cet univers imaginaire. Au fil des histoires, on devient un habitué de la rue des Cent Tavernes, de ses établissements pittoresques, de la garde urbaine aux qualités discutables, des gangs rivaux des quais.

Plus qu’une simple géographie, c’est un microcosme où la promiscuité produit des rencontres particulières. Cet entassement met en contact les classes sociales opposées de Beasts in Velvet, permet au Warhawk de se dissimuler, fournit le public bigarré des pièces de théâtre et les émeutes des révolutionnaires.

L’Avis du Barde

Jack Yeovil nous livre une tapisserie de destins tissée avec amour et facétie, contée en employant tous les genres du répertoire. Plus que cette maestria, ce qui m’a fait apprécier l’oeuvre, c’est sa capacité à donner vie à des personnages, et aussi à un imaginaire auquel il donne une sorte de troisième dimension. C’est plein de bonnes idées, de traitements variés et originaux, et surtout on plonge dans un univers et des personnages bien vivants ; ou parfois bien morts. Ou morts-vivants. Bref.

Pas besoin de vous faire un dessin : je recommande à tous les amateurs du genre ! N’attendez plus, courez chez votre libraire favori pour vous procurer, heu…

Alors oui, il y a un hic : le livre papier n’est plus guère trouvable. Mais il a été traduit en Français (je l’ai lu en anglais par pure perversité), et on peut toujours le trouver en format électronique, ou si vous êtes motivés, sur e-bay.

Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter bonne chance dans votre quête.

Signes Dans le Sable

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Ça, c’est fait.

Ça, c’est fait.