Mais... où suis-je ?

Le Barde dans la Machine écrit pour vous des élucubrations sur les mondes imaginaires. Pour faciliter vos choix de lectures, les publications sont regroupées en thèmes :

"Récits", des nouvelles (entières ou par épisodes) qui parlent de SF et de Fantasy. Les récits les plus longs sont publiés par épisodes, puis compilés.
"Contes de la Marche", qui regroupe des récits de Fantasy se déroulant un même univers.
"Lubies", des textes plus courts sur des sujets aléatoires.
"Bouquins", où je vous narre et critique mes derniers lectures.
"Carnets", de brèves observations ou impressions, en quelques paragraphes.

La Course Au Snicchi (2)

Sa chute dura bien trop longtemps. Elle traversa un autre auvent qui la freina à peine, puis rencontra sur un toit en mauvaise maçonnerie qui céda sous le choc et s'effondra dans un bruit de catastrophe. Cassia atterrit dans une pièce de bonne taille, accompagnée d'une pluie de tuiles, de joncs et de mottes de terre. Étonnamment, elle se reçut plutôt bien et resta un instant étalée sur les décombres, hébétée.

Cela avait dû être un appartement très confortable, comme en témoignaient les tapis et les poteries de prix qui avaient survécu à son arrivée. Son inventaire des lieux s'arrêta là : quelqu'un se débattait sous sa fesse droite, qui avait vraisemblablement amorti sa chute, et surtout devant elle, une silhouette sombre à la tête couverte d'une capuche était campée au-dessus d'un dormeur. L'une de ses mains tenait un long couteau, et Cassia vit une goutte sombre, poisseuse, énorme, s'en détacher très lentement alors que le personnage se tournait vers elle.

Soudain une poussée plus forte la projeta de côté, et l'autre individu se dégagea des décombres ; son capuchon était rejeté en arrière, et dans le clair de lune qui tombait sur lui, elle distingua son visage large, son nez busqué, ses cheveux collés à son front et son expression de mépris. Il s'exclama :

— Lario, bute-moi cette emmerdeuse !

L'autre leva son couteau, mais déjà Cassia avait pris ses jambes à son cou, et disparaissait en galopant par la porte restée ouverte. Elle enchaîna sans reprendre sa respiration les changements de direction : une terrasse sous la lune, une volée de marches obscure, un passage sous arcades pour dissimuler d'autres tournants et détours. Elle entendait derrière elle le souffle et la course de son poursuivant ; il n'hésitait pas à écarter à grand bruit les obstacles qu'elle évitait d'un bond, et semblait gagner du terrain. Elle essaya de passer par des toits et des passerelles particulièrement fragiles, dans l'espoir qu'il les fasse céder sous son poids, mais l'homme les passa facilement sans se laisser distancer.

Une brute maniant le couteau, marchant comme un chat : elle était poursuivie par un tueur professionnel ! Ses chances de survivre aux prochaines minutes étaient pratiquement nulles. Ses jambes commençaient déjà à montrer des signes de faiblesse, et elle manqua une marche dans une course folle en descendant un escalier.

Elle vira à angle droit vers une terrasse aux multiples entrées, et percuta quelqu'un de plein fouet, qui poussa un grognement de douleur - elle avait dû lui mettre un coude dans l'estomac. D'autres personnes l'entourèrent, et l'un d'entre eux s'exclama :

— Tiens, le vilain petit canard !

C'était Jiusep, qui la regardait avec surprise et comme du ravissement.

— Qu'est-ce que tu fiches par ici ?

Cassia tenta de le prendre de vitesse vers l'escalier qu'il descendait à sa gauche, mais il lui coupa la route. Ses comparses formèrent un cercle autour d'eux, bloquant les autres voies.

— Tut tut... Ne crois pas t'en tirer par une pirouette, sale voleuse ! On va te faire passer l'envie de...

Un cri derrière elle, les têtes ahuries de Jiusep et des autres : sûrement l'arrivée brutale de son poursuivant. Elle plongea entre deux gars ébahis et descendit une volée de marches de plus, derrière elle une autre plainte s'éleva ; à nouveau le tueur était sur sa trace, à peine plus loin qu'avant. Cassia tenta plusieurs feintes risquées, mais n'arriva pas à le tromper.

Soudain elle s'arrêta net. Elle avait pris le mauvais tournant, oubliant le plan du quartier, et venait de se coincer elle-même dans une terrasse qui n'avait qu'une seule issue. Lario arrivait sans hâte derrière elle, presque nonchalant maintenant qu'elle était prise au piège. Cassia jeta un coup d'œil autour d'elle, et son coeur fit un bond dans sa poitrine : une fenêtre était restée ouverte, un rectangle noir sur la facade blanche. Sans doute un cul-de-sac, mais une dernière chance d'échapper à cette machine de mort.

Cassia se précipita vers l'ouverture, et du coin de l'œil vit le spadassin se précipiter à sa suite en jurant. A peine était-elle passée à l'intérieur que sa tête heurta un objet dur, peut-être une barre en bois, et elle s'écroula au sol. Sa vision était obscure, parcourue d'éclairs aveuglants, et elle avait à peine la force de pousser sur ses bras pour tenter de se relever - dès qu'elle aurait retrouvé où était le haut.

Elle entendit un bruit quelque part dans la pièce, très loin. Une voix gutturale qui jurait, puis un cri, quelqu'un qui tombait.

Elle reprenait à peine ses esprits quand une chandelle s'alluma. Une silhouette immense se dirigea vers elle, referma une poigne énorme sur son col, le serra et la souleva de terre d'une seule main. Tout en luttant pour ne pas étouffer, elle remarqua son cou de taureau, son torse large marqué de cicatrices, ses cheveux blonds et ses yeux gris encore bouffis de sommeil. Il devait dormir nu, comme cela se faisait dans des pays lopins cultivés. Du coin de l'œil, elle aperçut un corps étendu par terre, la tête encapuchonnée. Mais l'urgence était ailleurs. L'habitant des lieux pointait vers elle un glaive écarlate de sang, et gronda avec un accent nordique ;

— Fatiguée de vivre, toi aussi ?

– À suivre

La Course au Snicchi (3)

La Course au Snicchi (1)