Mais... où suis-je ?

Le Barde dans la Machine écrit pour vous des élucubrations sur les mondes imaginaires. Pour faciliter vos choix de lectures, les publications sont regroupées en thèmes :

"Récits", des nouvelles (entières ou par épisodes) qui parlent de SF et de Fantasy. Les récits les plus longs sont publiés par épisodes, puis compilés.
"Contes de la Marche", qui regroupe des récits de Fantasy se déroulant un même univers.
"Lubies", des textes plus courts sur des sujets aléatoires.
"Bouquins", où je vous narre et critique mes derniers lectures.
"Carnets", de brèves observations ou impressions, en quelques paragraphes.

Fire and Blood

Fire and Blood

Un livre de George R.R. Martin

L'Heroic-Fantasy, c'est un peu comme la cigarette ou les drogues dures : c'est difficile d'arrêter. Je m'étais promis de ne plus me faire avoir, je m'étais même inscrit à un cercle de fantaisistes anonymes, on comptait les jours passés sans avoir ouvert la moindre trilogie, on se soutenait les uns les autres...

Et puis le gars est passé, vous le connaissez, un type louche avec une démarche furtive et une voix insistante. Il vient nous voir quand on n'a pas trop le moral, quand notre résolution s'effrite, pour tester nos défenses.

"Allez, c'est quand même pas un petit pavé en anglais qui va faire peur à un grand garçon comme toi ! Regarde, il n'y en a qu'un seul !"
"Ouais, enfin qui me dit qu'il est terminé ? Si ça se trouve il y a un tome 2 en préparation, et cette fois, ça sera plus cher... Tu m'as déjà fait le coup !"
"C'est l'histoire de Westeros à partir de la Conquête. Tu ne peux pas passer à côté d'un truc aussi essentiel !"
"Tu veux dire, l'histoire des Targaryens? Ah non, n'essaye pas de m'appâter, je ne veux même pas en discuter !"
"Oui, les Targaryens ! Et surtout, il y a des grosses bastons de dragons !"
"SERIEUX ? Vas-y, montre!"

Oui, la chair est faible. J'ai donc rempilé pour des centaines de pages d'intrigues politiques, de batailles épiques et de monstres volants. Pour vous éviter d'y succomber, voici un bref survol, à dos de lézard en quelque sorte.

Le récit

« Feu et Sang » : voici un titre approprié pour un livre sur l’histoire de Westeros, et plus particulièrement de la dynastie dragonicole des Targaryens.

Contrairement aux autres récits situés dans cet univers, nous sommes ici en présence d’un livre d’histoire, écrit par un Maester érudit de Oldtown. Il relate l’ascension et la chute des rois qui, les premiers, ont unifié Westeros sous une seule couronne, et forgé le Trône de Fer avec les épées de leurs ennemis vaincus.

L’auteur nous fait revisiter les principaux épisodes de cette histoire mouvementée : la conquête par Aegon, premier souverain et héros à la stature 100% mythique, les querelles entre ses fils, l’un trop faible et l’autre trop brutal, le long et (principalement) heureux règne de Jaehaerys, la division entre ses descendants, la rivalité de deux femmes qui voulaient être reines, et de leurs partis, jusqu’à une guerre civile dévastatrice : la Danse des Dragons.

Narrateurs et sources

Le narrateur, en bon historiographe, fait appel aux sources d’époque qu’il cite et commente. On y trouve d’autres Maesters, des baladins, des participants aux événements, et surtout le nain Champignon, bouffon de son état, dont les commentaires impertinents, les anecdotes salaces et les affabulations apportent un contrepoint joyeusement vulgaire aux affaires dynastiques.

Noms

Ce récit qui s’étire sur plusieurs siècles et de nombreuses générations foisonne de personnages, déjà nombreux d’ordinaire chez Martin. C’est l’occasion d’apprécier la réflexion dans la manière dont il les nomme.

Dynastiques

Pour construire les prénoms des Targaryens, Martin met en œuvre une approche particulièrerement systématique. Par exemple, de nombreux hommes portent des noms en deux syllabes, la première formée autour de la voyelle -ae, la deuxième avec la voyelle -on.

L'intérêt, bien sûr, est d'obtenir à chaque fois la même sonorité exotique, évoquant l'antique Valyria, sa sorcellerie toute puissante et ses dragons. Cependant, au fur et à mesure que défilent les personnages, la belle régularité des noms Targaryens devient difficile à suivre, et on s'emmêle un peu les pinceaux entre les princesses nommées Rhaenys, Rhaena, Rhaenyra, et les princes Aegon, Aemon, Daemon, Daeron...

A première vue, on pourrait hausser les épaules (je vous surveille, lecteurs, je sais quand vous ricanez !), et se dire que ce gros flemmard de GRR Martin n’a fait qu’inventer un système de construction, pour pouvoir ensuite produire mécaniquement des variantes en faisant tourner toutes les lettres de l’alphabet sur les positions libres. Et les rieurs n’auraient pas tout à fait tort, sauf que l’auteur ne s’arrête pas là. Il n’a pas construit un système mais plusieurs, comme on peut le voir plus bas.

De Westeros

Les familles, mais aussi les domaines de Westeros, sont rattachés à des thèmes avec lesquels l’auteur joue de différentes manières. Ainsi les seigneurs de l’Arbor, renommé pour son vin, se nomment Redwyne, ceux de Oldtown, la ville qui abrite la tour des Maesters, sont les Hightower, etc. Beaucoup de noms de familles évoquent directement les lieux et les emblèmes.

Les prénoms sont généralement moins historiés, mais ils résonnent aussi à leur manière. Ainsi les noms des seigneurs Lannister formés sur le modèle « Tywin », « Lywin » ; les Stark aux noms en « -ard », etc. On retrouve les avantages et inconvénients de l'approche déjà appliquée aux Targaryens : autant c’est pratique pour rattacher rapidement dans l’esprit du lecteur un nouveau personnage à une dynastie, autant cela rend plus difficile de distinguer les membres d’une même famille.

Ces systèmes ne se fondent pas sur un simple caprice d’auteur. George Martin s’inspire d’une époque où les noms de personnes portaient un sens, et leur attribution répondait à des règles ou des intentions précises.

Même les noms de famille des bâtards jouent un rôle descriptif, en les rattachant à un domaine de Westeros : les Snow du Nord, Flowers de Hautjardin, Storm d’Accalmie... chaque région a les siens, blasonnés de la spécialité locale. C’était déjà familier dans les tomes du Trône de Fer, mais le passage accéléré du temps et la succession des personnages et des patronymes fait encore plus ressortir ces règles de construction inventées par GRR Martin.

Femmes et enfants

L’énumération des enfants, qu'ils soient héritiers incontestables ou contestataires, comme celle des femmes mortes en couches et des couples infertiles, peut donner le tournis, mais elle souligne une réalité politique médiévale essentielle.

Dans une société où le pouvoir se fonde et se transmet par la naissance, faire des enfants n’est pas un projet personnel, mais une œuvre politique. Et la si capacité à se reproduire est une qualité essentielle d’une reine ou d’un roi, l’abondance excessive peut créer ses propres problèmes, comme le démontre le règne de Jaehaerys à la descendance pléthorique, et les querelles dynastiques qui lui font suite.

Sur ce point comme sur beaucoup d'autres, George Martin n'est pas seulement bien documenté, il incorpore profondément les mœurs et les usages de l'époque médiévale dans ses intrigues. Et il le fait aussi avec les éléments moins historiques, plus fantastiques, en particulier les grosses bêtes volantes.

L’art de la guerre, avec des dragons

Dès l’arrivée d’Aegon le conquérant, les Dragons s’avèrent l’arme maîtresse des guerres des Targaryens : sans pouvoir se passer entièrement de soldats, ils suffisent généralement à déterminer la victoire, même si au sol la fortune des armes penchait dans l’autre direction.

En de rares occasions, on verra des dragons succomber à des coups de baliste bien ajustés, mais cela sanctionne des imprudences. Dans les conditions habituelles, les armes défensives conventionnelles restent impuissantes.

La Danse des Dragons les voit pourtant tomber en grand nombre, de deux manières : soit en se battant les uns contre les autres (parfois jusqu’à la destruction mutuelle), soit face à une foule démente et fanatisée. On peut y lire si on le souhaite un discours politique de la part de l’auteur.

Martin aurait pu se contenter de décrire ses dragons par analogie avec les avions de guerre modernes : dans les deux cas, leur intervention est décisive pour la progression des opérations militaires au sol ou sur mer. Mais il en fait un usage bien plus intéressant, par ce qu’ils ont d’unique et d’organique, voire magique. C’est particulièrement apparent au moment où ils s’affrontent. Le poids stratégique de ces armes absolues des champs de bataille crée alors d’autres enjeux.

D’abord, ils ne sont pas tous équivalents : la supériorité revient aux plus vieux dragons, plus grands et résistants, au feu plus destructeur. Ainsi Baelor, le plus ancien de tous, monture d’Aegon, est particulièrement convoité. Et redoutable aussi : ces créatures ne se montent pas comme de vulgaires chevaux, elles n’acceptent que des chevaucheurs de sang Targaryen, et encore. Il vaut mieux ne tenter l’affaire qu’après s’être bien préparé.

En plus d’être puissants, les dragons sont excessivement rares, pas plus d’une douzaine au total au moment de la Danse des Dragons. Chaque créature pèse dans la balance, et si l’une d’entre elle change de camp, c’est tout l’équilibre des forces qui peut basculer.

Les pilotes, eux aussi, sont en nombre limité : principalement les membres de la famille royale, et certains de leurs bâtards. Le dénombrement de ces forces devient une variable essentielle de tout conflit impliquant des dragons, ainsi que le compte des pertes. Paradoxalement, leur force devient leur faiblesse : perdre un dragon est un revers gravissime, tant militaire qu’en termes de prestige. Et n’oublions pas que la chute d’un dragon entraîne celle de son conducteur, en général prince ou princesse de sang royal, et héritier possible du trône. Cette guerre dans les airs peut donc avoir un prix extrêmement élevé pour ceux qui s’y lancent.

La Danse des Dragons donne au livre une sombre apothéose, culmination d’une longue montée des tensions, mais aussi de la prolifération des monstres volants et de leurs conducteurs sous les règnes précédents. Ce conflit les consume dans un feu d’artifice dramatique d’intrigues ignobles et d’exploits héroïques.

Ce n’est sans doute pas un hasard si cet épisode fait l’objet d’une série « prequel » en cours de tournage chez HBO.

Essos

l’île-continent de Westeros forme le cadre géographique des livres , territoire à la forme rappelant l’Angleterre, mais aussi grand que l’Europe occidentale. L’histoire de son peuplement suit plusieurs vagues, qui emplissent successivement ce territoire vierge. À mesure que la série du Trône de Fer se déployait, on a commencé à regarder au-delà de cet horizon ; d’abord en suivant les pérégrinations de Daenerys dans des pays exotiques, puis au cours des tractations politiques et financières qui relient les deux côtés de la Mer Étroite.

Fire & Blood élargit encore ce cadre temporel et géographique, par quelques apparitions de Valyria d’où sont originaires les conquérants Targaryens, un aperçu plus large des relations de Westeros avec ses voisins (des banquiers de Braavos aux maisons de plaisirs de Lys) , et des expéditions maritimes au bout du monde, comme celles de Corlys Velaryon, le fameux Serpent de Mer.

Dans ce monde qui s’agrandit, le continent oriental d’Essos occupe une place de choix en tant que terre immense des origines, d’antiques civilisations, de raffinement extrême et de violence sans retenue. Il porte encore la marque de Valyria, qui a disparu lors du Fléau dans une mer encore empoisonnée : les Cités Libres de la côte Ouest, par exemple, sont ainsi nommées en référence au joug valyrien dont elles se sont autrefois affranchies. Chacune constitue une puissance politique et culturelle distincte, et l’histoire de leurs alliances et trahisons fournirait matière à des cycles entiers de Fantasy (mais n’en parlez surtout pas à GRR Martin !)

L'avis du Barde

Malgré son format inhabituel, cet ouvrage se lit agréablement, ce qui nous rappelle s’il était besoin la maîtrise de l’auteur. Le jeu sur les narrateurs lui permet d’animer un récit qui n’évoque jamais un manuel d’histoire, et l’histoire des Targaryens ne manque pas de démesure ni d’imprévus. Si on ne peut pas recommander ce livre à tout le monde (cela suppose un certain goût pour l’histoire et les mondes imaginaires), il devrait satisfaire la curiosité des amateurs, qui auront le plaisir d’y trouver les clés d’ histoires ou juste d’allusions rencontrées dans la série du Trône de Fer.

Sauf que.

Au fil de ma lecture, il m'est venu comme une prémonition, l'impression d'une catastrophe imminente. Dans les cinquante dernières pages, l’action ne semblait pas s’accélérer particulièrement. Quand il n’en restait plus que dix, la suspicion est devenue fatalité, et une fois la dernière page tournée, j'ai dû regarder en face la triste réalité. À la fin de ce gros tome, on est encore loin de l’histoire d’Aerys le Fol, dernier roi fou des Targaryens, de la révolte de Robert Barathéon et de tout ce qui s’ensuit. On n’en est même pas aux querelles dynastiques qui animent le « Chevalier des 7 royaumes ». Le livre s’arrête précisément au règne d’Aegon III, comme indiqué sur certaines couvertures, mais pas sur celle du volume que j’avais acheté.

Hé oui ! George Martin s'est encore interrompu en cours de route, mais n'ayez crainte : il nous livrera bientôt la moitié manquante ! Attendez juste quelques années, ou décennies, comme pour « The Winds of Winter »…

Mais… mais… Pourquoi nous fait-il ça ? Pourquoi ?

POURQUOI !?!?!?

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